Un peu d’histoire…

A l’heure où l’on annonce la destruction de la cheminée (lire l’article), un peu d’histoire (résumée) et de précisions sur les bâtiments Palluat

Un moulin à blé, le « moulin neuf », est construit à Aubesson sous le règne de Louis XIV, vers 1660 …

Ce moulin, avec les droits d’eau correspondants, est racheté sous la Révolution par Lalauze (dit aussi Lacombe – Lalauze), qui a décidé de le remplacer par un « moulinage de soies ». Les travaux de construction du pont, du bâtiment, d’un nouveau canal d’amenée d’eau, s’étalent sur plusieurs années à partir de l’an III (1794). La « fabrique de soies » est en pleine activité sous l’Empire, Lalauze est un fabricant reconnu qui emploie plusieurs dizaines d’ouvriers, la qualité du fil produit dans sa fabrique d’Aubesson est citée en exemple. La fabrique se situe en amont du pont, à l’emplacement du grand bâtiment.

Lalauze s’agrandit en 1825 et construit un second moulinage dans la continuité du premier, toujours en amont du pont sur la Ligne, pour répondre à la demande considérable du marché des soies sous la Restauration. Il s’équipe aussi d’une filature, installée dans les mêmes bâtiments, en étages, et emploie plus d’une centaine de personnes. Mais il a du recourir à d’importants emprunts pour agrandir, et ne peut faire face à ses échéances : ses biens sont saisis en 1829 et deviennent la propriété de son principal créancier, le négociant Colomb, des Vans, qui revend : le moulinage appartient en 1833 à Antoine Bayle.

La société de banque et négoce Palluat & Testenoire, née dans la Loire, est devenue l’une des plus importantes dans le commerce des soies sur la place de Lyon, et commerce avec de nombreux mouliniers ardéchois, y compris à Largentière Arsène Perbost, dont l’usine est à Sigalière, où son frère Isidore qui dirige le Moulinet (Tauriers). Palluat & Testenoire choisit en 1843 d’ajouter à son activité de « soyeux » celle de fabricant, pour contrôler plus étroitement les approvisionnements en fil de soie, et rachète la fabrique d’Aubesson. Celle-ci devient la fabrique Palluat, dirigée dès lors par un contremaitre.

La fabrique Palluat va évoluer, jusqu’à employer plusieurs centaines d’ouvriers, surtout des femmes ou de très jeunes filles, qui occupent la quasi-exclusivité des emplois dans la filature, et une part de plus en plus importante de ceux du moulinage. Les premières chaudières à vapeur y sont installées en 1851, puis 1853, mais elles servent alors surtout à chauffer les bassines de la filature, la force motrice étant assurée par une roue à eau.

C’est en 1869 que Palluat agrandit encore sa fabrique, construisant aussi le nouveau bâtiment situé en aval du pont, devenu lui aussi « pont Palluat » après avoir été construit « pont Lalauze ».

 De nouvelles machines à vapeur sont installées dans les années suivantes : la force principale est toujours celle de l’eau, comme l’indiquent les procès liés à son utilisation, et une dernière modification du barrage Palluat sur la Ligne, réalisée en 1886, qui assure une hauteur de chute allant jusqu’à 10 mètres pour la roue du bâtiment amont, 14 pour la roue aval. Mais la vapeur peut au moins suppléer partiellement au manque d’eau lors des « à-sec », et c’est probablement dans la période 1870 à 1890 que sont construites les 2 grandes cheminées, chacune dominant l’un des bâtiments.

L’activité de la filature et du moulinage de soie Palluat reste très soutenue (220 employés en 1893, importants investissements réalisés en 1913) jusqu’à la première Guerre mondiale. Il n’en est pas de même après la guerre (concurrence des soies artificielles, évolution des marchés, puis crise économique) : l’usine Palluat ne tourne qu’à 60% de ses capacités en 1928. La société Palluat cesse son activité en 1930.

L’usine Palluat est reprise en 1935 par Briand Frères, d’Aubenas : si la filature est abandonnée, le directeur, Julien Souche, relance l’activité du moulinage, maintenue même sous l’Occupation pendant la Seconde Guerre mondiale. La force motrice est à présent fournie par l’électricité : une turbine installée dès 1891 au Moulinet fournissait déjà l’éclairage électrique, la force est amenée dans les années 30 depuis une usine électrique sur la Beaume. Cette activité est relancée après la guerre par l’adaptation du moulinage, qui passe du fil de soie au fil de nylon : de nouveaux « moulins » sont conçus par Briand à Aubenas pour réaliser la « fausse torsion » nécessaire au nylon, testés d’abord à Sigalière, avant utilisation plus industrielle à « Palluat », où travaillent à nouveau plusieurs dizaines d’ouvrières (jusqu’à 150 personnes dans les années 60 et 70 entre Sigalière et Palluat) sous la direction de Raymond Souche.

Un incendie a ravagé dans les années 70 les ateliers et le bâtiment aval du site Palluat : l’industrie textile alors en difficulté, Briand Frères devenue Sotexa, les indemnités versées par les assurances n’ont été utilisées que pour consolider, et « retaper » sommairement ce bâtiment, réduit à deux étages, qui n’a plus été ensuite utilisé que pour le stockage  … La propriété du groupe Briand et l’activité de SOTEXA sont passées entre plusieurs mains, avant d’échoir finalement aux Ateliers Roannais de Construction Textile, eux aussi sérieusement fragilisés. L’activité du moulinage a cessé, sur les deux sites de Palluat et Sigalière, en 1980.

Le grand bâtiment amont a longtemps été occupé par les productions du laboratoire Ardeval, créé en 1985 à Sigalière, installé ici depuis 1987, qui a employé jusqu’à 35 personnes avant d’être repris par Omegapharma en 2001, mais y a cessé toute activité fin 2017. La cheminée surplombant ce bâtiment amont a été détruite en mai 1998.

Le moulinage aval de « Palluat », incendié il y a 50 ans, a vu son apparence progressivement délabrée, même si la structure semblait toujours solide.

La question se posait forcément de savoir

  • si ce bâtiment pouvait être restauré, à quel coût, et dans quelles conditions, afin de restituer la perspective majeure, et qui a longtemps marqué l’entrée nord de Largentière, des grands bâtiments du site Palluat,
  • où si au contraire la seule solution réaliste était de le raser.

Après le rachat du site par la commune de Largentière, la mairie a tranché, avec peut-être des arguments, mais sans que ceux-ci aient jamais été présentés ou mis à disposition des habitants, sans non plus que cette décision ait été précédée d’un débat ni même d’une délibération en conseil municipal : le bâtiment a été détruit en fin 2020, avec semble-t-il le feu vert de l’ABF (l’Architecte des Bâtiments de France), la majorité en place prévoyant de réaliser à sa place un parking.

La majorité en place a aussi prévu de détruire prochainement la grande cheminée qui se dresse encore au-dessus du bâtiment rasé. On imagine là aussi que l’ABF a donné son quitus. Cette destruction est-elle nécessaire ? Peut-elle au contraire être évitée ? Beaucoup de questions, qui concernent les habitants de Largentière, restent sans réponse.

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